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Thierry Vainqueur, couteau suisse de la mode

Plein d’énergie, passionné, intarissable, Thierry Vainqueur répond volubile à nos question, afin de décrire la lumière qui l’habite : son métier de designer et directeur artistique pour différentes marques de mode. Un talent qu’il exerce depuis dix ans auprès des jeans Kaporal.


Thierry Vainqueur, directeur artistique de Kaporal


Styliste confirmé, son CV foisonnant fait tourner la tête ! Né en Guadeloupe, mais élevé en région parisienne, Thierry Vainqueur est le ‘petit dernier’ de sa famille. Il conseille très tôt sa maman, professeur de lettre et artiste peintre, dans le choix de ses tenues. Son père, expert comptable est lui plus éloigné de l’univers de la mode et de Paris –il travail souvent en Côte d’Ivoire. Thierry grandit en dansant, littéralement, dès l’âge de 6 ans. Danse classique, afro-jazz, hip hop puis danse tribale africaine, toutes les formes de mouvements l’enchantent. Il rêve d’entrer à l’Opéra de Paris, mais son destin le dirige vers d’autres horizons. Car parallèlement, il dessine : des robes, essentiellement, des créations de contes de fées, des crinolines évidemment.


Après un cursus scolaire classique, il assiste à un défilé de la toute jeune Sophie Sitbon. La créatrice issue d’Esmod en 1985 déclenche chez lui un déclic irréversible. Sortant de cette expérience unique des étoiles plein les yeux, sa vie ne sera plus jamais comme avant.


« Tout au long de ma scolarité, j’ai été ‘bousculé’ par les autres garçons, avoue t’il. Noir et gay ce n’est pas tous les jours facile ! Aussi, je me réfugiais auprès des filles, souvent les plus jolies, qui m’ont toujours protégé : c’était comme une garde rapprochée d’amazones. En arrivant à Esmod j’ai su que c’était exactement ce que je voulais faire. Soudain, j’ai découvert l’Eldorado ! »

Chez Kaporal Thierry Vainqueur 'énergise' la collection


De 1984 à 1987, il suit des cours de stylisme-modélisme, dans les locaux de l’école Boulevard Montmartre, avec une spécialisation en Style Femme durant sa troisième année.


Planet Esmod : Comment était l’ambiance d’Esmod à cette époque ?

Thierry Vainqueur : Oh lala ! On faisait vraiment la fête... Presque toutes les nuits ! On arrivait donc à l’école le lendemain entre deux sommeils, mais nous étions tous tellement passionnés que nous nous donnions corps et âme aux études. Et les profs comme les cours nous apportaient une énergie incroyable. L’école m’a enseigné à me présenter aussi, pas seulement à présenter un book. On apprenait à s’affirmer, à comprendre ce qu’on aimait, ou ce qu’on n’aimait pas. J’ai appris là ce qu’était le monde du textile et de la mode. Pour moi ça a été trois années vraiment magiques.

J’ai même rencontré là ma bande de potes de toujours. Et ils sont restés mes amis/frères ou sœurs depuis. Ce sont des liens assez inédits car ce sont toujours mes amis les plus proches.

P. E. : En sortant de l’école, vous avez même reçu un prix lors du salon de Hyères ?

T. V. : Oui, j’ai participé au 3é salon des jeunes créateurs de Hyères en 1988. A l’époque ce n’était pas encore l’institution mondialement connue d’aujourd’hui. Mais j’y ai gagné le prix de la presse. J’étais content. J’ai dû recevoir un peu d’argent, un accompagnement pour élaborer une collection et des passages télé. J’étais vraiment très jeune, mais ce festival et Jean-Pierre Blanc aussi !


P. E. : Comment êtes-vous entré chez Castelbajac ensuite ?

T. V. : La directrice de l’école, Annette Goldstein à l’époque, envoyait les dossiers de quelques élèves à certains créateurs. Mon dossier de fin d’études s’appelait ‘Les Patriotiques Cocottes’, tout en propositions de color block, dans un style presque Mondrian mais avec des robes à messages. Donc Jean-Charles a été intéressé par ces propositions qui étaient dans la lignée de son travail. Je suis donc devenu stagiaire chez lui. Pendant un an et demi j’ai été simple ‘ramasse épingle’, mais il me faisait aussi dessiner des silhouettes. Et grande fierté, j’ai ensuite travaillé pour Ko &Co qui était une marque qu’il réalisait en lien avec K-Way. Ça m’a permis de prendre conscience que mon travail valait quelque chose.


Collection Kaporal Eté 2022


P. E. : Vous avez pourtant choisi à terme une toute autre voie que la mode des créateurs de luxe, pourquoi ?

T. V. : J’étais alors super fier d’avoir été choisi et de voir mes dessins utilisés par Castelbajac. Mais ce système d’assistanat généralisé dans la mode créative de l’époque me semble aujourd’hui un peu trop féodal. J’ai eu un rapport à peine différent quelques années plus tard avec Hedi Slimane lorsqu’il était chez New Man, puis ensuite chez Yves Saint Laurent. Il m’a demandé de travailler sur les licences jeanswear homme et sportswear du Japon. Parallèlement, j’ai eu une expérience similaire chez Sonia Rykiel pour ses lignes Inscription et Jeans. Tout ça fait très bien sur un CV, mais ce n’était pas mon monde. Je me suis mieux retrouvé dans des univers de mode plus ‘mainstream’, plus jeanneurs, avec des enseignes de diffusion.


P. E. : Malgré ce changement d’univers, utilisez-vous toujours la méthode Esmod dans votre travail ?

T. V. : Oui, toujours. Pour composer des gammes de couleurs ou créer des moodboards par exemple. C’est devenu des automatismes. En fait, c’est une formation très solide, car elle grandit avec soi, au cours de vos expériences professionnelles.


P. E. : A quel moment avez-vous choisi de devenir styliste indépendant et non plus salarié d’une marque ?

T. V. : Ma première grande expérience de salariat dans le sportswear a été pour l’entreprise Jacques Jaunet / Newman. J’y suis resté sept ans. J’ai appris là ce

qu’était la mode industrielle. Je faisais beaucoup d’aller-retour entre Paris et Cholet où étaient les usines. Ça m’a fait comprendre ce qu’était le métier du jean et une grande entreprise. Et je m’y suis senti tout de suite bien. A la suite de ça, j’ai pris la direction du bureau de création de Naf Naf ou je suis resté quatre ans en salarié également. Ensuite, ma sœur qui est expert comptable m’a suggéré de devenir indépendant. Depuis plus de 20 ans je fonctionne donc en free lance. Là, tout se joue sur sa propre réputation. Grâce au bouche à oreille, j’ai pu cumuler des expériences différentes et très complémentaires.

Campagne de publicité Kaporal Jeans


P. E. : En quoi consiste votre travail exactement ?

T. V. : J’ai fait de la direction artistique pour beaucoup de maisons et d’enseignes sportswear. Mon travail consiste à donner le ton de la collection, à accompagner les équipes, à partager avec la direction et le secteur marketing l’image d’une marque. Mais il faut aussi imaginer sa projection dans le temps, son renouvellement, sa trajectoire. J’accompagne donc les équipes de style, je partage les idées, les pistes d’évolution avec eux. Ça se fait aussi bien dans les bureaux des marques, que dans les usines, mais aussi jusqu’au placement de produit, jusqu’à la distribution. En fait, je suis essentiellement force de proposition, puis ensuite la direction de la plateforme Style et Achat me dit si ces concepts sont réalisables ou pas. A moi de rendre mes idées crédibles, donc réalisables.


P. E. : Cela semble déjà compliqué de trouver des idées nouvelles, mais qu’elles soient en plus adaptées à l’entreprise et aux marchés, c’est difficile non ?

T. V. : Personnellement, j’ai appris ce qu’était la rentabilité au mètre carré tout au long de ma carrière. Notamment chez Etam, mais aussi chez Morgan, Jennifer, Naf Naf, etc. Là, les propositions doivent être rentables, il n’y a pas le choix. Personnellement j’ai trouvé ce challenge grisant car j’aime bien vendre. Ça me plait de générer du chiffre d’affaire avec des produits dont je pense qu’ils sont bons. C’est un vrai plaisir. A priori c’est rarement ce sur quoi on s’engage lorsque qu’on choisi de faire des études de style, mais aujourd’hui, il faut être comme un couteau suisse pour réussir. Si on n’est pas en phase avec le marché, ou si ses propositions sont trop en décalage avec les attentes d’une maison, on reste rarement longtemps au service d’une marque. Il faut savoir se remettre en question en permanence. Pour moi, c’est un moteur de ce métier.


P. E. : C’est un métier qui repose beaucoup sur les indépendants désormais.

T. V. : Oui, lorsque aujourd’hui je fais venir des profils juniors pour travailler sur des missions, je m’aperçois qu’ils et elles ont souvent la perspective de devenir indépendants. C’était beaucoup moins fréquent lorsque j’ai commencé. Nous rêvions de nous mettre au service d’un créateur. Moi, c’était Mugler et finalement j’ai été chez Castelbajac, mais c’était une consécration. J’ai l’impression qu’aujourd’hui le rêve ultime des jeunes générations n’est plus de se soumettre au règne d’un créateur, même brillant. Ils vont vite et ont besoin de se positionner sur leur propre histoire, en toute indépendance.

Thierry Vainqueur en Chine avec son équipe locale


P. E. : Personnellement, ça ne vous a pas manqué de ne pas créer votre propre marque ?

T. V. : Beaucoup de gens me l’ont suggéré, mais ma carrière d’indépendant au service de multiples clients, m’a plutôt bien réussi. Avec des périodes très fastes et d’autres moins certainement, mais même si j’ai pensé créer ma propre marque parfois, je n’ai jamais trouvé les bons partenaires et c’est aussi bien comme ça. Mais ma carrière n’est pas terminée, donc qui sait ce que l’avenir me réserve ?


P. E. : Le sportswear était exactement ce que vous vouliez faire ?

T. V. : Oui, c’est mon truc. Le sportswear, le casualwear, l’habillement de bien être, etc. Ça me correspond, mais pour en faire quelque chose de toujours évolutif et différent. A tel point qu’aujourd’hui je ne saurais pas faire de robes de mariées ou de la couture. Cela ne m’intéresse pas. Après avoir dessiné des crinolines toute mon enfance, j’ai eu un vrai coup de cœur pour le denim, les traitements, les lavages, les ‘used’, les ‘faded’ etc.


P. E. : C’est aussi cet habillement là qui influence l’ensemble de la mode créative aujourd’hui, non ?

T. V. : Clairement. C’est la tendance de fond depuis quelques années déjà. Chacun a son image de ce que doit être une attitude sportswear ou casual. C’est donc un univers vaste que l’on peut développer aussi bien pour les marchés de masse, pour les marques de milieu de gamme ou dans la sphère du luxe. Ça permet de travailler des silhouettes intemporelles souvent composées de multitudes looks ou de thématiques. C’est un vestiaire de liberté.


P. E. : Vous voyagez beaucoup ?

T. V. : Oui. Pour lancer les collections sur les sites de fabrication en Chine, en Inde, en Afrique du nord par exemple. C’est un métier qui est certainement plus facile lorsque l’on n’a pas trop d’attaches familiales ou d’enfants en bas âge. Mais c’est surtout une question d’organisation et de rotation des équipes.


Chez Kaporal, le denim est roi !


P. E. : Aujourd’hui, vous ne travaillez que pour Kaporal ou toujours pour d’autres clients ?

T. V. : A une époque en plus de Kaporal Femme, je travaillais également pour Jennifer et j’étais aussi consultant auprès d’usines qui fabriquaient pour Inditex (Zara, etc) et pour Arcadia (TopShop, etc.). Evidemment c’était un peu trop de travail, de voyages, de stress, pour assurer en même temps une vie de famille structurée. Donc, je ne suis plus désormais que trois jours par semaine chez Kaporal à Marseille, depuis dix ans maintenant. J’ai arrêté mon consulting d’usines, mais j’ai signé récemment avec une nouvelle marque à Milan, Glamove. C’est une ligne de cosmétiques vegan, auprès de laquelle je développe une collection textile casual et bien être. Ils ont besoin de définir l’esprit de cette collection destinée à être vendue dans leurs boutiques, mais aussi en ligne à partir de septembre prochain.


P. E. : Quels conseils donneriez-vous aujourd’hui aux actuels étudiants d’Esmod :

T. V. : Si c’est ce qu’ils aiment faire, je leur dirais de s’adonner corps et âme à ce métier. Il ne faut pas compter son temps, ni son énergie. Nous étions dans doute moins nombreux à l’époque où j’ai suivi les cours d’Esmod, mais nous nous donnions à 400%. Nous apprenions la mode, mais nous sortions ‘mode’ aussi, nous buvions ‘mode’, nous vivions ‘mode’. Nous étions entièrement immergés dans cet univers. Peut-être trop sans doute… Mais nous en avions envie. Nous voulions aller encore plus loin. Nous n’étions pas désabusés. C’est toujours un univers où il faut donner le meilleur de soi-même tout le temps et s’accrocher. C’est un très beau métier. A cinquante ans passé, personnellement je suis toujours dedans : passionné comme au premier jour !


Passionné comme au premier Jour, Thierry Vainqueur sait transmettre son énergie


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