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Morphologie : une autre question de genre



Artiste pluridisciplinaire, Patricia Maincent enseigne le dessin, l’illustration et la morphologie chez ESMOD Paris. Son regard affuté observe avec intérêt les changements de styles et de normes qui ont bouleversé nos rapports au corps depuis 20 ans. Ces changements, indique l’artiste, sont propices à la créativité et à la réflexion. Interview.


Planetesmod : Comment pourrait-on vous présenter en quelques mots ?


Franco américaine, j'ai grandi en étant en contact avec des cultures différentes. Je cultive depuis toujours la rencontre des mondes distincts. Dans mon activité, je réunis démarches intellectuelles, pédagogiques et travaux artistiques. J'ai par exemple longtemps été rédactrice en chef de la rubrique art du magazine Standard, tout en poursuivant mon travail d'artiste, que ce soit au travers de la peinture, de la vidéo et de la performance.


Patricia Maincent : Quels sont les grands fils rouges de votre œuvre picturale ?


Mon travail visuel, qui s’exprime à la fois par le dessin, le film et la photo, se nourrit de voyages, de rencontres et de recyclages. Il concilie captation du quotidien et « samples » hollywoodiens, entre autobiographie truquée et vraie fiction, comme par exemple dans mon court métrage intitulé « 15 000 kms ». Je collabore régulièrement avec des artistes, toutes disciplines confondues - des musiciens (Rouge Gorge) ou plus récemment l’écrivaine Chloé Delaume – afin de réaliser des performances ou des vidéos qui mêlent textes, voix, musiques, dessins, peintures et films.


Vous prodiguez - sauf erreur de ma part - des cours s'articulant autour de la morphologie au sein de l'école ESMOD : quelle est la spécificité de cet enseignement ?


Il s’agit pour être très précis de cours de dessin et d'illustration en lien avec la morphologie humaine. L’enseignement s’articule autour de l’étude du dessin anatomique, de la base au trait jusqu’à la mise en volume par l'ombre pour finir par la stylisation d'une silhouette.

Le point de départ est offert par le modèle : sa présence effective, occupant l’espace, permet aux élèves de réaliser une transposition sur une surface plate. Ce travail de transposition est fondamental. Dans leur carrière future comme stylistes, les élèves vont devoir en effet maitriser cette démarche, mais en sens inverse. Leur tâche consistera à convertir une image inscrite sur un écran ou une feuille blanche, représentant une silhouette en deux dimensions et à échelle réduite, en une création qui aura une dimension supplémentaire, sera à taille réelle et aura pour vocation d’être portée par une personne qui sera en déplacement constant.


Quel est la finalité et la philosophie de cette démarche ?


Le travail est double. Il réside tout d'abord dans l’étude de l’anatomie et l’analyse du corps en mouvement – étude essentielle pour comprendre les étapes qui permettent de créer un vêtement qui puisse adopter plusieurs états – tout en permettant un examen des problématiques liées au stylisme et au modélisme. Il consiste également à développer une meilleure compréhension de l’attraction exercée par un vêtement porté : ses textures, ses couleurs, les attitudes qu’ils autorisent et les points de vue sous lesquels il peut être observé.


La morphologie est-elle une discipline gravée dans le marbre ou en évolution ?


Certainement pas statique ! Les normes et les styles changent de même que les corps, leurs façons de bouger et leurs attitudes. Cependant il faut faire attention à l’utilisation du terme morphologie car il s’applique au vêtement aussi bien qu’au corps. Dans tous les cas, les deux se transforment tout en gardant des aspects fondamentaux


Quels regards porte notre époque sur le corps selon vous ? Et quelles sont les conséquences de ce regard sur la mode actuelle ?


Le corps est passé d'une standardisation extrême dans les années 90 à une diversité énorme, riche et parfois plus décomplexée. L’évolution de la notion de genre – phénomène majeur de ces vingt dernières années - contribue également à transformer les attitudes, les mentalités. Elle implique d’autres fonctionnements et par conséquent d’autres vêtements et d’autres besoins. Le numérique transforme aussi notre quotidien. Nos nouvelles habitudes exercent une influence réelle sur nos corps.


La science de l'apparat s’articule entre deux écoles : d'une part, il y a une scène créative qui met en lumière le corps sous toutes ses facettes, et d'autre part, une revendication à pouvoir exprimer sa personnalité sous le prisme de la pudeur : comment un artiste ou un créateur peut-il concilier ces deux tendances de fond?


Je ne pense pas qu’il faille concilier les deux mais au contraire laisser chacun libre de prendre conscience de ce qui lui convient et l’intéresse. Ce qui est essentiel, c’est de pouvoir développer sa créativité en accord avec sa personnalité.


Votre regard personnel d'artiste sur le corps a-t-il évolué au fil du temps ?


Bien sûr ! La question du genre notamment est passionnante. Elle contribue à briser des codes et des catégories, qui ont longtemps été très stricts. La fluidité, l’androgynie, la mixité ethnique et culturelle apportent une diversité qui bouleverse nos standards. C’est bénéfique à tout point de vue, qu’il soit créatif ou sociétal. J’enseigne depuis 20 ans à ESMOD. Je remarque par exemple qu’il y a davantage de garçons qu’auparavant. Et je trouve cela formidable car personne n’est dans le même moule. On peut choisir de se définir de multiples façons ce qui est toujours stimulant, surtout dans une école où se côtoient tant de nationalités et de cultures.


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