Grégoire Willerval a fondé Scotomalab à la fin de sa scolarité chez ESMOD (Promo 2016). Aujourd’hui, sa société spécialisée dans la conception de collections en 3D séduit les grands noms de la mode et de la création. Interview.
La société Scotomalab conçoit et numérise des vêtements 3D qui s'inscrivent à la fois dans une logique de production et une optique de communication.
Planetesmod : Comment peut-on vous présenter en quelques mots ?
Grégroire Willerval : Je viens de la promo ESMOD 2016. Je voulais vraiment comprendre un vêtement et apprendre à le construire. Au cours de ma scolarité, j’ai suivi les options mode masculine, 3D et impression numérique. Nous travaillions à l’époque avec plusieurs logiciels dont un système-pilote développé par Dassault, même si aujourd’hui CLO 3D – que je recommande - a montré son efficience dans la conception de matières souples et dans l’appréhension du tombé de tissus ou de la gravité. D’une manière générale, j’aime l’entreprenariat : j’avais fondé ma marque dédiée à la mode masculine durant ma scolarité : très « eye-catching », colorée, avec beaucoup d’imprimés et une ligne sportive.
Comment a débuté l’aventure Scotomalab ?
Après avoir obtenu mon diplôme, j’ai principalement travaillé au sein de bureaux de tendances. Je recevais également un nombre assez conséquent de demandes concernant des travaux de modélisme de la part des créateurs indépendants. Il y a quatre ans, nous avons fondé Scotomalab avec Irene Astete qui travaillait sur les enjeux de la 3D au sein du groupe Kering. Notre société faisait à l’origine du développement de patronages et de modèles en 3D dans le but de simplifier la production et d’offrir une prévisualisation photoréaliste des collections.
Cette activité a évolué par la suite ?
C’est toujours une partie importante de notre entreprise. Mais nous avons rapidement reçu des commandes s’articulant autour de la création de contenus, que ce soit pour des campagnes ou pour le métaverse. J’aime présenter Scotomalab comme un laboratoire qui allie le savoir-faire artisanal français aux immenses possibilités offertes par le numérique. Nous dénouons les nouveaux paradigmes de la mode.
Quelles sont ces possibilités concrètement ?
Le numérique ouvre des horizons encore insoupçonnés au monde du textile : le modélisme 3D, les défilés numériques, le stylisme bien entendu, la création d’avatars et d’univers entiers conformes au moodboard et à la cible de la marque, et enfin les expériences clients immersives. L’important, de mon point de vue, consiste à savoir parler le même langage que les plus grandes maisons de Couture. C’est ce que nous faisons à Scotomalab puisque nous avons été formés à tous les métiers de la mode. Ensuite, il faut savoir, et c’est notre rôle, traduire ce langage dans le nouvel environnement numérique.
Auriez-vous un exemple précis des avantages offerts par la 3D ?
Prenons un vêtement, par exemple, qui a été conçu en 3D ou digitalisé dans une logique de production. La vie de ce vêtement virtuel ne s’arrête pas là puisqu’il autorise également l’édition d’images qui permettent de communiquer sur le produit. Je parle bien d’images fixes mais aussi de vidéos avec des pièces en mouvements. Inclure un vêtement en 3D est sans limite. À l’objectif initial de créer un lookbook ou une publicité́ sur un ou plusieurs produits, s’ajoute la communication sur l’univers de la marque et de la collection.
Depuis cinq ans, les maisons de mode, les créateurs et les bureaux de tendances accordent leur confiance à la société fondée par Grégroire Willerval. Les vêtements 3D réalisés par l'entreprise sont photoréalistes. Ils seront utilisés à chaque étape de la production. Les prototypes et vêtements créés peuvent également s'insérer dans un univers virtuel complet.
L’innovation suscite parfois des appréhensions et soulève des craintes. Les comprenez-vous ?
Le débat entre l’arrière-garde et l’avant-garde n’est pas récent. Il revient à chaque révolution stylistique ou technologique. En ce qui concerne la 3D, je tiens à souligner que cette technologie offre plusieurs pistes de réponses pertinentes aux interrogations légitimes de la société concernant la sustainability et l’inclusivité. Comme nous intervenons au début du processus créatif, nous appliquons une démarche raisonnée en utilisant la 3D. Première conséquence : nous contribuons à réduire voire supprimer les prototypes physiques. Cela a une répercussion sur l’ensemble de la chaine. Deuxième conséquence : les vêtements numériques en défilés ou en showrooms virtuels évitent les déplacements excessifs des acteurs concernés et réduit la production de tête de série. Tout cela a évidemment une incidence significative sur l’empreinte carbone liée à la conception et la présentation d’une collection. En ce qui concerne l’inclusivité, la réalisation d’avatars grâce à la photo-grammétrie (scan3D) facilite l’exploration de tailles qui sortent des sempiternels standards en vigueur.
Êtes-vous satisfait des premières années d’exercice de votre entreprise ?
Nos services ont clairement rencontré l’intérêt des marques. G-shock, Boss (Hugo Boss), Domyos, Ninamouha, Exclusible, Nelly Rodi, Carlin, Inmouv, 2G2L Paris, Exalis Berlin, INDG, NDA Paris, Kingsize studio, Sevdaliza, Les Garçonnes, Céline Shen, Yokai, La Darude, DDP, Cem Cinar, sans même parler des projets initiés pour de grands noms du luxe que je ne peux pas citer : les marques, les créateurs et les bureaux de tendances nous accordent leur confiance depuis le début de notre activité. Que ce soit pour le modélisme et le stylisme, mais aussi pour la création de contenus et de campagnes.
Entrevoyez-vous le futur de la 3D ?
Il avance à grand pas. Les confinements ont incité les entreprises à démocratiser les connaissances et à comprendre les enjeux de la 3D. La plupart des marques connaissent aujourd’hui la solution CLO 3D mais beaucoup ne l’utilisent pas encore. Très peu l’ont intégrée dans le processus global de production et du développement de la marque et du vêtement. Les pôles 3D restent des périmètres fermés alors qu’ils doivent au contraire irriguer l’ensemble de la chaîne. L’avenir, qui est déjà une réalité pour certaines marques, consistera à échanger de A à Z en 3D, des usines à la création du produit. Du point de vue créatif, la 3D ne sera bientôt plus considérée comme une amélioration esthétique mais un outil permettant l’incrémentation à des univers – jeux, metaverse - complets et immersifs. Elle permettra aussi, à partir d’un scan de vêtement physique, de rééditer un patron industrialisable : une nouvelle façon de retravailler les archives et le vintage.
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