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Photo du rédacteurPatrick Cabasset

Santiago Artemis : « Je suis un King Kong en hauts talons ! »

Dernière mise à jour : 7 févr. 2023

Au-delà de son apparence "gender fluid" spectaculaire, ce qui frappe dans la confrontation avec le jeune styliste star argentin Santiago Artemis, c’est sa liberté et sa générosité. Des impressions que cette étoile montante de la mode internationale laisse aussi à ESMOD. Il est venu y échanger avec les étudiants et faire une master classe exceptionnelle le 6 février dernier. Bien avant de devenir un débat, le besoin d’inclusivité était au cœur de son existence. Rencontre.


Santiago Artemis

Né en 1991 à Ushuaia à la pointe extrême du continent sud-américain, Santiago Navarro (son vrai nom) grandit dans une famille de religion mormone. La rigueur sévère qui accompagne cette pratique religieuse n’est sans doute pas étrangère à son évolution vers l’autre bout du spectre social… Déménageant à Buenos Aires, il y étudie la mode d’abord, à l’Escuela Argentina del Mod, puis à l’Université de Buenos Aires. Bientôt, il installe son atelier de création dans le célèbre quartier résidentiel de Recoleta. Chapeaux, boucles d’oreilles, robes, fourrures, gants, talons, aucun élément du vestiaire féminin n’échappe à son style spectaculaire. Et c’est sans doute aussi grâce à son apparence, son attitude et sa personnalité hors normes qu’il va bientôt accéder au succès. Libre, il n’en reste pas moins à l’écoute de celles et ceux qui viennent chercher chez lui une mode originale. Un élément qui transparait tout au long de la série documentaire que lui consacre Netflix. Dans les 6 épisodes de 45 minutes de « Moi, honte ? Jamais ! » (No Hay Tiempo Para la Vergüenza) il évolue à un rythme soutenu entre ses clientes célèbres, son atelier, son quotidien amoureux et sa psy. Un univers latino survolté qui lui vaut des millions de fans dans le monde entier.


Gender fluid, Santiago Artemis sait affronter l'hiver parisien pour ESMOD

Planet Esmod : Pourquoi avoir choisi la mode ? Vous possédez de nombreux talents, vous auriez pu faire autre chose non ?

Santiago Artemis : C’est arrivé un peu par hasard quand j’avais 17 ans. Mais je savais que je pouvais m’en sortir là-dedans. Bien sûr quand j’avais 5 ou 6 ans, j’étais déjà une star dans ma classe, avec mes dessins, mon style, mon attitude. J’étais en avance à l’école, toujours le plus jeune de ma classe. Plus tard, même lorsque j’ai fait de la télé ou des films, je n’espérais pas devenir une célébrité ‘out’ comme ça. Moi je voulais juste être accepté, être aimé pour qui j’étais. Et puis c’est devenu une priorité : mon image est devenue mon métier. Pas seulement comme un bon designer de mode, mais comme un bon visuel, comme une célébrité. Et je peux jouer avec ça, donc j’en profite.


P. E. : Justement, qu’est-ce que cette célébrité a fait pour vous ? Que vous a-t-elle apportée ?

S. A : En fait, la célébrité m’a apporté de nouvelles responsabilités. Beaucoup de jeunes font de moi une référence, pour la mode mais aussi pour mon attitude plus libre. Je réalise leur rêve. Je suis une sorte d’icône dans mon pays. J’aime cet effet ‘whouaa’ que la célébrité m’apporte, c’est beaucoup de joie bien sûr. Mais comme je suis devenu une sorte d’inspiration, parfois c’est aussi très intimidant. Je ne peux pas faire ou dire n’importe quoi.


"La célébrité ça ne veut rien dire tant que vous n’avez pas une mission, une passion, quelque chose à partager". Santiago Artemis


P. E. : De quoi cette célébrité vous prive t-elle aussi, peut-être ?

S. A : Le revers de la médaille, c’est que vous n’avez plus de vie privée. Tout ce que vous faites est observé au microscope. C’est comme si on ne pouvait pas s’échapper. La pression aussi de devoir continuer à être ce que les gens veulent. J’ai vécu une courte période avec beaucoup de drogue et d’alcool aussi. Elevé dans la religion mormone, je n’ai découvert l’alcool qu’à partir de mes 29 ans. J’étais devenu très seul avec cette personnalité, donc j’ai essayé de rencontrer d’autres gens durant la période du Covid. Ma carrière était formidable, mais émotionnellement c’était horrible. J’ai bu beaucoup, pris de la drogue avec des étrangers. Mais très vite je me suis aperçu que je ne comptais pas vraiment. Ces gens sont avec vous parce que vous êtes connu. Ils n’en ont rien à faire de vous en vérité. Ça a été des moments difficiles.


P. E. : Il y a d’autres dangers liés à la célébrité ?

S. A. : Oui, elle peut aussi vous faire perdre votre propre personnalité. Et puis vous savez que tout ce que vous dites ou même la moindre blague, peut être mal interprété. Il y a beaucoup de pression dans le fait d’être célèbre. Je suis d’abord un artiste, ensuite, loin derrière, je suis quelqu’un de connu. La célébrité ça ne veut rien dire tant que vous n’avez pas une mission, une passion, quelque chose à partager. Moi je fais des vêtements et ensuite je divertis, c’est mon travail. Et c’est pour ça que je suis célèbre. Pas l’inverse. Je ne voulais pas devenir célèbre. C’est juste arrivé ! Bien sûr je recherchais une validation, je voulais appartenir à un certain univers. Mais ça ne passait pas forcément par cette célébrité.


Entre art et mode, le travail créatif de Santiago Artemis affirme de nouvelle valeurs. Ici un extrait de son show The Rebirth.


P. E. : Comment l’aspect social et politique du monde d’aujourd’hui influence-t-il votre style ? Comment le sens de l’inclusion par exemple soutient votre travail ?

S. A : Je ne suis pas vraiment dans la politique, chez moi ce sens de l’inclusivité est naturel. Ce n’est pas un truc que je fais à cause de la tendance. J’habille des hommes qui peuvent ressembler à des femmes tout en restant des hommes. Je porte des hauts talons, des robes, des jupes, etc. Mais en même temps je suis juste un mec qui porte des slips ou des caleçons. Je suis comme ça depuis mes 14 ans environ. J’étais sans doute en avance sur mon époque. Un élément clef a été quand vers mes 17 ans un styliste m’a dit : « Sais-tu pourquoi tu es si étonnant ? Tu t’habilles comme une femme –une vieille lady d’ailleurs…(rire)- mais tu ne veux pas être une femme. Tu es un mec dans des vêtements de lady. Tu es une diva avec des caleçons ! ». J’étais un mec qui portait des blouses de femmes. Un King Kong en hauts talons !


P. E. : Est-ce facile à vivre tous les jours ? Comment réagissez-vous face à d’éventuelles oppositions conservatrices, ou à la violence que ça peut générer ?

S. A : J’ai grandi depuis, je sais mieux comment me comporter et quand je dois être plus garçon ou plus femme. Quand je rencontre quelqu’un j’apprends vite de quelle façon je peux me présenter, comment ne pas choquer. On peut terroriser les gens avec ce type d’allure… Ce look est idéal pour les soirées, la télé, les photos, etc. Dans le métro, si ça se complique, je prends mes gants, mon chapeau, mes boucles d’oreilles et je descends. Et si je veux mettre les gens à l’aise, je porte des trucs plus basiques. Ça m’arrive de surprendre mes amis parfois « Oh mon dieu ! S’écrient-t-ils, tu ressembles à n’importe lequel de mes amants… ». Mais en fait, je ne me ressemble pas vraiment en jean et en T-shirt !


Petit selfie Business Class pour Santiago en route pour ESMOD Paris avec Air France sur Instagram

P. E. : Êtes-vous approuvé dans le métro parisien par exemple, lorsque vous affichez ce look spécifique ?

S. A : Oh oui ! Les gens me disent en français « Très Chic ! ». Le plus beau compliment qu’on m’ait fait cette semaine c’est « Magnifique ! ». Donc je les remercie, en français également. Je ne suis pas du genre à provoquer une bagarre ou une guerre mais je suis plutôt fier. En cas de problème, je me plante sur mes deux jambes et j’assume, même si je ne suis pas d’une nature violente, je sais me défendre.


P. E. : Dans votre série documentaire « Moi, honte ? Jamais ! » sur Netflix, votre vie quotidienne semble très agitée, dramatisée, mais comment vous relaxez-vous ?

S. A : Non, la série est vraiment ma vie telle qu’elle est. Rien n’a été créé pour le show. C’est vraiment ce que je suis. Mais c’est vrai que les temps morts ont été éliminés. Maintenant je suis plus posé, j’ai davantage besoin de pauses. Plus on rencontre le succès, plus on a besoin de moments calmes. J’ai plus d’expérience, donc j’ai aussi plus d’outils afin de négocier avec le monde extérieur. J’ai débuté très tôt, avec très peu de connaissances : comment la société fonctionne ? Comment se faire des amis ? Etc. Je me suis littéralement jeté dans le monde sans aucune préparation. Et ça a marché de façon fantastique. Mais tout dans ma vie personnelle a été écrasé. J’ai eu du succès et je suis devenu célèbre sans savoir comment affronter la vie. Mais j’ai appris. Et même si j’ai l’air tendu, très intense parfois, je suis plutôt zen à l’intérieur.


P. E. : Avez-vous un modèle, un guide ?

S. A : Bien sûr : Joan Collins dans Dynastie était mon idole. Toute en talons et en épaulettes ! Et puis Cindy Lauper, Madonna,… Oh et oui, la Princesse Diana. Elle a été mon inspiration dès ma naissance : sa vie, ses choix de mode, sa timidité craintive, ses regards de côté comme Bambi... sa mort tragique ! Je n’y crois toujours pas !!! Sinon côté mode j’aime aussi Madame Vionnet, Paul Poiret, Schiaparelli, Dior bien sûr.



Au-delà des clichés, les défilés événements de Santiago Artemis a Buenos Aires sont toujours empreint d'une réelle poésie.


P. E. : Avez-vous des projets en France ?

S. A : Il y a déjà un livre sur moi, mais j’en prépare un second plus luxueux avec mes collections. J’aimerais beaucoup défiler à Paris, mais j’ai besoin de grandir émotionnellement. J’attends le bon moment. J’ai débuté si jeune. Maintenant je me sens davantage comme un homme. Et c’est curieux, mais les gens m’ouvrent facilement leurs bras. C’est comme ça en Argentine depuis toujours, mais maintenant quand je voyage ça se reproduit. Au Japon, au Danemark, à Paris… Les gens rient de mes blagues. Je suis aussi très loufoque, un peu comme un Jim Carrey, mais avec des épaulettes !


P. E. : A propos du Danemark et de Copenhague, capitale de la fourrure, que dites-vous aux gens qui haïssent cette matière avec la violence que l’on sait ?

S. A : Ils ont besoin de se trouver une vie je pense ! Moi j’aime la fourrure. Cette matière exceptionnelle donne une allure extraordinaire à vos vêtements. Saga Furs a été mon partenaire durant des années. On peut penser que c’est irresponsable, moi je pense que le plastique est plus dangereux encore. Hors, les alternatives à la fourrure sont généralement en polyester, en acrylique, des dérivés du pétrole imputrescibles. Ces matières très accessibles génèrent davantage de pollution, une surconsommation et plus de déchets au final ! Parallèlement, on aime tous le cuir, les chaussures en cuir, les blousons. Je ne vois aucune différence entre le cuir et la fourrure. Mais oui, c’est un sujet pointu. Moi j’essaye de ne pas provoquer, si je porte de la fourrure c’est pour le plaisir que ça m’apporte avant tout. Je suis fidèle à mes choix. Je n’ai pas peur, même si ça me vaut quelques ennemis. Comme disait Margaret Tatcher « Il faut accepter ses ennemis ». Si vous prenez soin de votre fourrure, vous en ferez profiter aussi vos enfants et vos petits enfants après vous. Ecologiquement, c’est plus durable.


P. E. : Que diriez-vous aux étudiants d’ESMOD et à ceux des écoles de création en général ?

S. A : Mon succès est né du fait que j’ai su mélanger mon talent en tant que designer et mon talent en tant que personnage. Eux aussi peuvent exploiter leur propre personnalité et leur propre style en parallèle afin de créer une image. Il faut savoir se vendre si on veut avoir du succès. Il faut d’abord apprendre à s’aimer soi-même avant de commencer à dessiner. Ne pas se comparer aux autres aussi, car on est tous différents. Et ne pas se sentir frustré quand on croise des gens qui semblent meilleurs que vous. Ça ne veut pas dire que vous allez échouer. Il faut savoir se concentrer sur soi-même, sur son propre travail.


Dans la collection Artemis comme sur Santiago, la fourrure reste une matière sensuelle et durable. Sur sa page Intagram


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