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hervedewintre

Que nous apprend l’Art Déco ?

Dernière mise à jour : 8 nov. 2022

Les arts décoratifs français des années 1930 et 1960 sont mis à l’honneur par le Mobilier national qui présente 200 œuvres – meubles et luminaires fabriqués pour les décors de la République - aux Gobelins à Paris. L’occasion de se pencher et de s’interroger sur les richesses et les enseignements d’un moment majeur de l’histoire du gout. Un style 'so chic' au sein duquel la mode trouve 1000 influences...

Table de Gilbert Poillerat dans un salon de l’Élysée, vers 1957.

© Mobilier national, DR


Évidemment, la période dont s’empare le Mobilier National pour sortir de l’ombre ces 200 œuvres – meubles et luminaires fabriqués en leur temps pour les décors de la République – n’est pas la plus populaire du moment, ni la plus connue. Elle constitue une prolongation du mouvement Art Deco (appellation née dans les années 60 pour désigner le style « 1925 ou « Arts appliqués ») qui a connu son apogée dans les années 20 et 30, et précède le style moderniste dont les designers se réclament à partir des années 70.


De l’apogée de l’art déco, on a surtout retenu une certaine rigueur géométrique qui s’opposait aux circonvolutions de l’Art Nouveau, on a volontiers retenu comme critère ultime la recherche de la ligne, l’épure du design. Ce raccourci ne doit pas nous écarter du principal : les arts décoratifs français, au sortir de la première guerre mondiale et pour les décennies à venir, vont déployer un lexique de formes et une profusion de savoir-faire qui mettent en avant une curiosité universelle bien éloignée de l’exotisme de pacotille en vigueur à la fin du XIXème siècle. Le sait on vraiment ? L’art déco s’est avant tout inspiré des formes et des ornementations qui se détachaient sur les objets et les monuments caractéristiques de l’art perse, égyptien, chinois, arabe ou indien.


L’émergence de l’art déco, qui s’exprime chez les décorateurs, architectes, joailliers et couturiers, graphistes (le mot apparaît pour la première fois dans les années 20) doit beaucoup à la démarche initiée par un aréopage d’amateurs éclairés, d’esthètes érudits. Un microcosme où raisonnent les idées et les connaissances. Leur curiosité bien entendu a été aiguisée par les expositions universelles au sein desquelles les productions de l’Orient apparaissent aux yeux des Occidentaux comme une source de renouvellements qui échappent aux tentations de l’imitation pure. Paris, dans ce contexte devient par exemple l’épicentre du commerce des arts de l’islam en 1910. L’exposition des « arts musulmans » de 1903 au Palais de l’Industrie se construit avec une véritable rigueur scientifique, loin des envolées orientalisantes qui prévalaient jusqu’alors : les allemands, convaincus de l’importance de cette discipline, décide même l’ouverture d’un département dédié au sein des musées de Berlin. Tout un lexique de formes géographiques, de répétitions de motifs, de décors abstraits, d’ornementations complexes vont alors silencieusement intégrer une esthétique qui ouvrira la voie vers la modernité. Cette tendance de fond sera accompagnée par des designers qui dessineront une silhouette propice aux mouvements et apte à s’ouvrir aux couleurs du monde.

Meuble d'appui de Dominique et Paul Cressent (1947-1948).

© Mobilier national, Isabelle Bideau


"En effet, l’Exposition de 1925 illustre cette tendance dans la mode féminine, précise avec justesse Claire Wargnier, responsable d'éditions chez ESMOD International et férue d'histoire. Les formes des vêtements se simplifient laissant place aux ennoblissements textiles pour donner un style caractérisé par des formes géométriques. Les femmes s’émancipent : elles se coupent les cheveux, fument, conduisent des voitures, voire des aéroplanes afin d’affirmer une indépendance conquise pendant les années de guerre. C’est au début des années 1930 qu’elles retrouveront toute leur féminité avec des coupes et des détails sophistiqués dans des textiles fluides souvent travaillés en biais".


Cette modernité, toujours présente dans les décennies qui ont suivies l’éclosion de ce mouvement, se lit de manière souterraine dans les 200 œuvres exposées aux Gobelins à Paris, dans le cadre de l’exposition. Cette rétrospective est scénographiée par Vincent Darré qui a privilégié les grands ensembles pour une meilleure lisibilité. L’art des gainiers, des liciers, des tapissiers, des passementiers, des menuisiers en siège ou encore des ébénistes, par ailleurs remarquablement illustré à travers la restauration des pièces de cette collection, irrigue des oeuvres d’apparat ou des pieces fonctionnelles signées André Arbus, Jules Leleu, Jean Pascaud, Etienne-Henri Martin, Gilbert Poillerat ou Raphael Raffel.


Table lumineuse de Marcel Bergue (1937).

© Mobilier national, Isabelle Bideau


Ces oeuvres attestent un raffinement exprimé à la fois par la préciosité des matières – parchemin, bronze doré, cristal, laque... – mais aussi par la ré-interprétation de motifs inspirés par de multiples cultures. Il faut mesurer ce que ces ornementations, ces lignes claires, ces grands ensembles doivent à l’étude des reliures iraniennes, des aspersoirs indiens, des coupes afghanes, des façades de palais jordaniens pour comprendre le pouvoir créateur du dialogue. L’architecture et l’orfèvrerie, le costume et le mobilier, les beaux-arts et les arts appliqués marchent d’intelligence depuis plusieurs siècles. L’art gothique qui avait succédé à l’art roman devait ses merveilles d’ornementation aux emprunts effectués aux arts « sarrazins » que les croisés et les pèlerins avaient ramené du proche orient. Il ne s’agissait pourtant pas d’une imitation mais de l’intégration naturelle d’un vocabulaire enrichi par le rapprochement des cultures. Le moyen le plus sûr d’être moderne réside toujours dans l’étude approfondie du monde et de ses traditions.


« Le Chic ! Arts décoratifs et Mobilier français de 1930 à 1960 » Jusqu’au 29 janvier 2023.

42 Avenue des Gobelins, 75013 Paris.


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