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Gaëlle Billard, Modéliste Créative

Dernière mise à jour : 27 avr. 2022

La créativité s’exprime partout. Dans le stylisme autant que dans le modélisme ! C’est ce qu’assure ici Gaëlle Billard, modéliste chez Hermès depuis 15 ans. Elle explique pourquoi.




Gaëlle Billard au travail dans l'atelier d'Hermès à Pantin


Pour Gaëlle, le culte de l’expérience professionnelle est né dès ses années d’études à Esmod. De 1995 à 1998 elle y suit des cours de modélisme en alternance avec un travail en entreprise : « J’ai commencé après un stage de formation Lectra de deux semaines. Ayant peur de tout perdre si je ne me mettais pas immédiatement à la pratique, je suis entrée dans une entreprise de fabrication de vêtements pour bébés et enfants. Là, j’ai pu accéder à un contrat d’apprentissage. C’était pour moi la solution financière idéale ».

Et immédiatement après l’école, elle enchaine les emplois. Elle devient d’abord modéliste et assistante styliste chez Anne Fontaine, durant 2 ans. Après un détour par une agence d’intérim, la mode la rattrape en 2002 lorsqu’elle entre chez John Galliano. Modélisme, patronage, gestion et organisation des lancements, fitting, tout la passionne dans cette maison créative hors normes où elle restera durant 4 années haletantes. Ce qui ne l’empêchera pas de faire le choix d’une maison plus institutionnelle en 2007, en entrant chez Hermès.

C’est de cet atelier de Pantin, situé à quelques mètres du campus d’Esmod, qu’elle répond à nos questions, au milieu des préparatifs de la collection féminine automne-hiver 2023 Hermès par Nadège Vanhee Cybulski.


Création Hermès Printemps/Eté 2022 par Nadège Vanhee Cybulski

Planet Esmod : Comment expliquez-vous votre passion pour le modélisme ? Et pourquoi avoir fait, dès le début de vos cours à Esmod, le choix de ne pas suivre le cursus de stylisme ?

Gaëlle Billard : Chez moi, le modélisme est un état d’esprit. La mode m’intéresse, mais pas du tout à la façon d’une fan. Moi, j’adore la technicité des vêtements. Conceptualiser les modèles, rechercher les volumes, imaginer la fabrication, suivre les mécaniciens, travailler avec les patronniers, penser aux finitions, etc. C’est un choix de cœur. Je ne m’épanouissais pas dans le style. De plus, j’ai suivi mes cours sous forme de contrat d’apprentissage. J’étais jeune mais déjà indépendante et il me fallait faire des choix financiers également. C’est donc sans regret que j’ai sacrifié la partie Style de l’enseignement. Durant ma scolarité, j’étais à mi-temps en entreprise et à mi-temps dans l’école.

P. E. : Justement, d’où vous vient cet appétit pour la technicité du vêtement ?

G. B. : D’abord, je ne viens pas d’un univers lié à la mode. Mon père était scientifique, physicien, c’est donc vers le domaine scientifique que ma famille m’a d’abord dirigée. Ça a sans doute structuré mon esprit en m’ouvrant aux mathématiques. J’ai commencé ensuite à faire des études de pharmacie. Mais en deuxième année de pharma, je me suis aperçue que je n’avais pas l’esprit de concours, plutôt l’esprit d’équipe.

P. E. : Comment avez-vous découvert Esmod ?

G. B. : Sur un salon de l’Etudiant. J’ai eu un coup de cœur énorme pour les propositions de l’école. En commençant à m’intéresser à la mode, j’ai aussi découvert les défilés de Thierry Mugler. Ça a été une révélation ! Mais au-delà de la beauté et du style, c’était déjà la technicité de ses créations qui me fascinait. Je me souviens du premier défilé que j’ai vu, il n’y avait quasiment pas de tissus. C’était la collection des androïdes, tout en plastique métallisé. La réalisation de ces modèles m’a époustouflée ! C’est juste après que j’ai intégré Esmod.

P. E. : Et l’école a répondue à vos attentes ?

G. B. : Bien sûre, j’adorais réaliser des modèles, mais le fait d’être également en entreprise parallèlement m’a beaucoup servie. J’ai fait une troisième année de spécialisation Homme. C’était très technique et très carré comme enseignement, avec Claire Wargnier à l’époque. Pourtant, le moulage Femme et la technicité Tailleur m’ont manqués. J’ai donc approfondie ça plus tard, en entreprise.

J’ai cependant adoré ma troisième année, car l’étudiant modéliste choisissait alors l’étudiant styliste avec lequel il allait travailler pour le défilé de fin d’année d’Esmod. J’avais repéré un garçon extrêmement créatif, c’était très excitant. L’essentiel à mon point de vue est de faire en sorte de ne jamais dire non à quelque chose de différent. Ou alors de savoir apporter une solution technique aussi créative.


Collection Thierry Mugler androïd dans l'ouvrage Manfred Thierry Mugler Photographe. Editions La Martinière.

P. E. : Et vos premiers pas dans la profession se sont bien passés ?

G. B. : Oui, mais il faut toujours trouver un accompagnant lorsqu’on débute. C’est important et c’est ce que j’essaye de faire désormais avec les nouveaux apprentis à l’atelier. L’angoisse de la page blanche touche tous les créatifs. Que ce soit du texte, du dessin ou de la toile, c’est pareil. Quand on nous donne un croquis, on se demande toujours par où commencer, si on va y arriver, etc. Ce sont des heures de petites perles de sueur qui coulent sur votre front et le temps qui passe… C’est toujours un challenge.

P. E. : Les écoles sont-elles suffisamment en phase avec les besoins de l'univers du travail ?

G. B. : C’est difficile parce que chaque entreprise possède sa façon de travailler, ses astuces, ses façons de faire, etc. L’école ne peut que transmettre des techniques de base. Moi j’ai fait un cheminement un peu à rebours. Je suis devenu seconde d’atelier très tôt, mais plus tard j’ai souhaitée retourner au modélisme afin d’affiner mes connaissances purement techniques. A ce moment là, j’ai réouvert la méthode Esmod et tout revu à nouveau. L’expérience du modélisme permet d’adapter, d’affiner et de traduire cette méthode pour l’entreprise dans laquelle on est. C’est à ce niveau là que je m’épanouie largement depuis. Et même sans changer d’entreprise, depuis 15 ans chez Hermès j’ai changé trois fois de stylistes et de chefs d’atelier. A chaque fois, il faut être capable de remettre sa technique en question.

"Ici, on apprend le respect de la qualité, l’exigence des finitions, la culture de l’intemporel. Les vêtements Hermès sont aussi beaux à l’intérieur qu’a l’extérieur. Et cela commence dès l’atelier."

P. E. : Il y a des créatifs plus faciles que d’autres ?

G. B. : Se sont tous des artistes, avec des tempéraments différents. Mais c’est toujours passionnant de rentrer dans leur monde spécifique. Tous ont un poids énorme sur les épaules à chaque nouvelle collection. D’ou le stress qui arrive fatalement à un moment.

P. E. : Votre collaboration avec John Galliano durant 4 années a t’elle été différente ?

G. B. : A cette époque j’étais seconde d’atelier. Je faisais des toiles, pas toujours les plus complexes, mais on passait des moments incroyables. C’était l’époque la plus créative de John Galliano et il n’y avait aucun frein financier, c’était extraordinaire ! Nous travaillions énormément, mais lors du défilé -où tout l’atelier était convié- on pleurait de bonheur. Nous étions épuisés, mais dès le lendemain nous repartions avec une énergie incroyable. Pour moi, il reste le plus grand designer de mode. Ses inventions, avec son équipe d’alors, étaient extrêmement sophistiquées. Je me souviens d’une veste qui était composée d’un rouleau entier de tissus tellement tout était drapé, froncé, les motifs de fleurs placés, etc. Même les dessins étaient inouïs et le résultat final toujours similaire au premier jet. C’était d’un très grand professionnalisme.

Pour le défilé, la collection commerciale était enrichie et là, nous pouvions passer 3 jours et 3 nuits non stop à l’atelier afin de réaliser les ‘explosions’ créatives du show.


Collection John Galliano Automne-Hiver 2005

P. E. : Votre travail chez Hermès est sans doute très différent aujourd’hui ?

G. B. : Ici, on apprend le respect de la qualité, l’exigence des finitions, la culture de l’intemporel. Les vêtements Hermès sont aussi beaux à l’intérieur qu’a l’extérieur. Et cela commence dès l’atelier. Le travail est beaucoup plus régulier, organisé et structuré, ce qui est un autre avantage. Cela permet aussi d’avoir une vie familiale et personnelle à côté du travail. Ce qui est quasiment impossible dans les maisons trop turbulentes. Je suis passionnée par mon travail, mais il faut aussi savoir équilibrer son métier avec sa qualité de sa vie.

P. E. : Vous avez une spécialité chez Hermès ?

G. B. : Dans la collection féminine, je réalise maintenant surtout les grands manteaux un peu complexes. J’aime me tordre un peu la tête afin de trouver les solutions de fabrication idéale pour chacun. Ici, les modèles qui semblent les plus simples sont souvent les plus complexes à réaliser. Il faut toujours arriver avec une solution et ne jamais présenter à un styliste un travail dont on n’est pas fière. C’est un conseil à donner aux débutants : même si nous travaillons sur des mannequins de bois, la cliente elle, bouge, elle a besoin de respirer, de rentrer et de sortir du vêtement, etc. Ce sont des évidences, mais il faut toujours y penser.

P. E. : Quels conseils donneriez-vous aux actuels étudiants d’Esmod ?

G. B. : Restez ancré dans la réalité des métiers de la mode. Pour moi le contrat d’apprentissage reste la meilleure formule. C’est très important d’avoir les pieds dans le milieu professionnel qui va être le sien plus tard. Chez Hermès, les apprentis réalisent eux-mêmes quelques modèles et ils les voient défiler. Mais surtout, ils sont corrigés et profitent d’explications en permanence, ils ont le nez dans la réalité, dès l’école.

En même temps, je déconseille à nos apprentis de rester chez nous trop longtemps, car même si l’exigence professionnelle y est très forte, il faut tester d’autres visions. En début de carrière il faut multiplier les expériences, quitte à revenir vers ce qui vous convient vraiment. Et globalement, moins une maison a de moyens, plus le personnel est amené à participer à toutes les taches. C’est toujours plus formateur.

P. E. : Quelles marques vous semblent les plus intéressantes aujourd’hui en terme de patronage ?

G. B. : Chez Saint Laurent je vois des patronages très complexes avec un style particulier évidemment. Parfois, je vois des collections de jeunes créateurs super chouettes, mais j’ai juste envie de les aider à améliorer les intérieurs des modèles par exemple, ou la qualité globale des créations. Certains ont même une très bonne côte en terme de créativité, mais le respect de l’équilibre qualité-prix n’y est pas.

P. E. : La créativité pour vous s’exprime donc à plusieurs niveaux, pas seulement en terme de style ?

G. B. : Complètement. Un créateur peut et sans doute doit, avoir la tête dans les nuages. Mais à l’atelier, le rôle du modéliste est de l’ancrer sur terre. C’est à dire de réaliser concrètement son rêve, de faire naître le vêtement. C’est là que se situe notre créativité. Il faut aussi toujours respecter les techniques de production, car le but c’est bien de vendre ces vêtements, donc de les produire sur des machines bien réelles, normalisées. Dans certaines maisons, faire passer des modèles de collection en production est parfois impossible. Et c’est justement le rôle du modéliste de remettre la réalité sur la table de coupe. Ça aussi c’est très créatif !


Collection Hermès Printemps/Eté 2022. Détail.

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